Rites funéraires au temps de la pandémie

psychologue Boisgervilly

Pendant le confinement, je me suis posée quelques questions concernant les incidences de la pandémie sur les rites funéraires ainsi que notre appréciation de la mort.

Nous sommes mortels, et nous le savons tous. Cependant la mort que nous envisageons est la mort naturelle, la mort "douce" dans son sommeil. "La mort violente appartenait au domaine du fantastique, celle qui arrive dans les livres [...] et ne représentait nullement une menace quotidienne" écrit Geoffrey Gorer dans son ouvrage "Sans pleurs ni couronnes"
La mort pandémique a le même caractère, la mort de masse nous est contée dans les livres d'histoire, les romans, les films mais a fait irruption dans notre quotidien, changeant par là même les rites funéraires.

La mort, déjà effractante pour le psychisme, n'était plus enrobée des rites qui nous permettent de l'assimiler. Dans courrier international (qui faisait la traduction d'un article paru dans El Pais) un article relatait ceci "La pandémie a changé les habitudes du rite funéraire. Limité à trois participants, l'enfermement et la peur de la contagion ont fait des enterrements un acte intime et parfois déroutant. Il y a ceux qui viennent seuls et gardent le silence. Ceux qui ont retransmis le moment au reste de la famille par visio-conférence. Ceux qui assistent avec la bouche couverte, des gants et des lunettes de natation. [...] Sans même pouvoir ouvrir le cercueil pour en être sûr"

Revenons déjà sur le caractère "intime" cela est-il si nouveau ? Si l'on en croit Philippe Ariès, cela ne l'est pas tant que ça, les rites funéraires sont passés au cours des siècles de la scène publique à la scène privée. (Geoffroy Gorer en témoigne aussi.) Au Moyen-âge, les morts décrites notamment dans la chanson de Roland sont décrites de telle façon que le mourant sait qu'il va mourir et son agonie se passe en présence de nombreux tiers. Philippe Ariès nomme cela la mort apprivoisée. Depuis, dans une lente évolution la mort a pris un caractère répugnant et s'est "ensauvagée", "la décomposition après la mort est désormais reportée sur l'agonie". La mort est cachée car elle est "laide et sale". Elle n'est plus réservée qu'à la sphère intime, et est devenue un acte privé. Il n'est pas de bon aloi de parler de ses morts.. La mort est devenue tabou, mais elle a fait irruption pendant la pandémie dans notre vie quotidienne.

En France "les cérémonies d’adieu sont, elles aussi, perturbées par les impératifs médicaux. Pour éviter les inévitables contaminations qui accompagnent les rassemblements, Edouard Philippe a annoncé le 17 mars 2020 que les enterrements ne peuvent réunir plus d’une vingtaine de personnes. « C’est très dur, a déclaré le premier ministre. Cela manque de ne pas pouvoir se rendre aux obsèques d’un proche ou d’un ami, mais nous devons faire respecter les consignes sanitaires. » Pour maintenir, malgré tout, un semblant de rituel collectif, certains services de pompes funèbres proposent désormais de retransmettre les obsèques en direct par vidéo." (Le Monde) On voit bien ici qu'une attitude similaire à celle adoptée en Espagne a été promulguée en France.

Si ces attitudes ne sont pas nouvelles, qu'en était-il au temps des grandes pandémies qui ont été ravageuses ? "Eric Crubézy, professeur d’anthropobiologie à l’université Toulouse-III, a observé [un] désordre dans les tombes édifiées à Montpellier entre le Xe et le XVIe siècle. « Au début de l’épidémie, la société tente de faire face : le rythme des inhumations s’accélère mais les rites sont respectés, explique-t-il. Une fois que le mal se répand, on constate en revanche une perte des repères sociaux. Les familles sont décimées, les survivants sont moins attentifs aux morts, les responsables administratifs, politiques ou religieux disparaissent. Dès lors, les rites sont moins bien respectés : les cadavres sont parfois jetés dans la rue, ramassés dans des charrettes et jetés dans des fosses communes. »"

La perte des repères sociaux montre bien la perte des repères subjectifs qui affectent tout un chacun. Une double peine est alors infligée aux familles des morts, la perte de leur être cher et celle ne pas pouvoir en faire un "défunt" : " Selon Eric Crubézy, auteur d’Aux origines des rites funéraires (Odile Jacob, 2019), cette transformation du « mort en défunt » exige trois moments symboliques : « Il faut d’abord voir le corps pour réaliser que la personne est bien morte et mettre en scène une dernière image d’elle – on peut inhumer un général dans ses habits militaires ou le faire ressembler au grand-père qu’il est devenu. Il faut ensuite cacher le corps, en l’inhumant ou en l’incinérant, car cet objet dérangeant qui ressemble au vivant a rejoint le néant ; il faut enfin le métamorphoser, c’est-à-dire l’agréger à une histoire plus grande que lui afin qu’il s’intègre à la communauté des morts. »"

La façon dont nous appréhendons la mort ne change finalement pas tant que cela à l'échelle singulière, c'est l'impossibilité d'être sûr que "notre" mort est bien le "notre", ainsi que de s'assurer qu'il est bien mort en voyant son corps devenu cadavre, devenu chose qui fait en premier lieu barrage au temps de l'élaboration psychique.

Ce barrage au temps de l'élaboration peut engendrer ce qu'on nomme un deuil pathologique, qui bien souvent nécessite un suivi psychologique qui permettra d'élaborer de nouveau psychiquement.


Marie Arnoux

Psychologue - Boisgervilly

CONTACT

Uniquement sur rendez-vous au 06 63 39 35 87 ou par mail à l'adresse suivante : marie.arnoux.psychologue@gmail.com

Le cabinet se situe au 412 Coutanier, 35360 Boisgervilly





Tout rendez-vous non annulé au minimum 48h à l'avance sera facturé d'une indemnité de 50 euros sauf en cas de force majeure


 

Accès Psychologue Boisgervilly