Les ravages de l'autodiagnostic et de Tik-Tok
Depuis quelque temps, une mode est apparue sur l’ensemble des réseaux sociaux, et notamment sur tiktok : celle de l’autodiagnostic.
Le principe est simplissime : un post qui vous permet en cinq points d'établir si vous êtes « hypersensible », « zèbre », « autiste » ou autre. Cinq points très généraux, faisant presque penser à l’horoscope du matin où chacun peut se retrouver ou auquel chacun peut se conformer facilement.
L’autodiagnostic n’est pas en soi quelque chose de nouveau, mais c’est avec l’avènement d’internet et des applications sociales, du genre de YouTube, Tik Tok, etc, qu'on a vu son grand avènement. Avant, il avait plutôt cours dans les amphithéâtres des étudiants en psychologie qui pour la plupart se retrouvent dans beaucoup de traits qu'ils apprennent en psychopathologie. C'est en soi quelque chose de plutôt ‘’normal’’ que de se demander si l'on n’est pas psychotique, névrosé ou pervers … Mais, à la différence des personnes qui s’auto-diagnostiquent sur les réseaux sociaux, les étudiants en psychologie sont accompagnés par leurs professeurs qui peuvent les mettre en garde dès leur première année de se retrouver dans des pathologies étudiées en confondant une pathologie avérée et un de ses traits symptomatiques. Et si vraiment des doutes subsistent mieux vaut consulter plutôt que se loger dans une pathologie fabriquée qui tourmente.
La mise à disposition du savoir psychologique n’est pas une mauvaise chose en soi. Malheureusement, cette mise à disposition a plutôt été perçue comme un grand banquet aux symptômes, chacun allant de son diagnostic sur soi ou sur les autres. L’accessibilité de ces savoirs a ouvert en quelque sorte la boîte de Pandore des pathologies. L’autodiagnostic présente beaucoup d’écueils, notamment une trop grande facilité à se loger dans un signifiant. Plutôt que de réfléchir sur soi, le consommateur d’autodiagnostic préférera se déresponsabiliser des troubles qui l'affectent : « ce n'est pas ma faute, je suis hyper sensible. » Certains de ces consommateurs viendront chercher auprès des psychologues non pas la résolution d’un questionnement mais une confirmation, une légitimation sans aucune mise en doute de leur autodiagnostic, ne supportant pas parfois que le psychologue fasse son travail, prenant cette mise en doute légitime de la part du professionnel comme une attaque personnelle. Afin de faire l'économie de quelques séances de psychothérapie, les consommateurs d'autodiagnostic vont sur les réseaux sociaux, trouvent « leur » diagnostic et payent un prix encore plus fort que celui qu'ils auraient payé à venir consulter d'emblée : celui de l’aliénation à une jouissance mortifère.
De plus en plus, la recherche d’identité passe par une recherche de pathologie plus que par une identité méliorative, comme si se définir par une pathologie, relevant parfois du domaine psychiatrique, était une bonne chose. Une explication facile d’une symptomatologie souvent complexe. Il y a bien souvent confusion de langues entre le langage vernaculaire et le langage spécialisé. En effet, un même mot prend une signification différente dans le langage courant, spécialisé ou non mais dans le psychisme il prend toujours une valeur singulière propre à chacun.
Plutôt que de venir consulter un psychologue-psychothérapeute, souvent compris dans le sens c'est « pour les fous », les consommateurs de réseaux sociaux préfèrent finalement, bien souvent sans s’en rendre compte, se découvrir une folie encore plus grande sur internet. Ce qui ne devrait être qu’un jeu devient beaucoup trop sérieux.
C’est pourquoi, il faut protéger les plus jeunes de ce genre de contenu, ne pas les laisser vagabonder sans aucune limite sur les réseaux sociaux. Les enfants et les adolescents étant en devenir et se cherchant, ils peuvent plus facilement se loger dans une pathologie et, sans s'en rendre compte, sans le vouloir, se conformer aux symptômes qu'ils lisent sur internet.
Ces autodiagnostics sont aussi le moyen d'attirer l'attention, voire la pitié, facilement sur soi. Par exemple : une tik-tokeuse en faisant croire qu'elle avait le syndrome de la Tourette a pu financer, ne serait-ce qu’un temps, sa boutique en ligne. La pitié soulève les masses et l’argent. Ainsi, se trouver une pathologie contribue à se trouver une identité, même si ce n’est pas à souhaiter. On ne se définit donc plus par nos talents, nos passions mais par nos traits de faiblesse. La construction identitaire ne doit pas se faire par la pathologie.
Il s'agit aussi de ce qu'on appelle la contagion sociale, les pathologies étant exposées sur les réseaux sociaux elles sont donc accessibles facilement à tous et il est assez simple de s'identifier à l'un à l'autre des symptômes et de penser que l'on a un syndrome précis que l'on a vu chez quelqu'un d'autre. Cette contagion sociale est d’autant plus notable chez les adolescents et c'est le même phénomène que l'on peut observer à l'entrée des maternelles, où l'on voit un enfant commencer à pleurer puis les autres qui se mettent à pleurer en chaîne (transitivisme). C’est aussi un moyen de se retrouver dans un groupe social dans un monde où les gens sont de plus en plus isolés.
Lors de la pandémie, tiktok a pris un grand essor du fait de l'isolement des personnes, c'est à partir de là qu'a été constaté une sorte de contamination de TIC voire de TOC, via tiktok. En effet, certains influenceurs, pouvant être affectés par des pathologies psychiques, mettaient en avant leur combat face à la maladie, on vit se répandre bon nombre de posts relatant ce genre d'histoire. Puis, dans les cabinets des médecins, des adolescents se présentaient avec exactement le même TIC, alors qu’un TIC est toujours singulier (C’est-à-dire personnel). Dire à ces adolescents qu’ils avaient été contaminés par tiktok fit céder immédiatement le symptôme. Ce n’est pas le seul écueil de tiktok, on peut rapidement se rendre compte de son influence sur la concentration des plus jeunes et des moins jeunes, beaucoup de personnes utilisant fréquemment l'application se plaignant de voir leur concentration réduite quasiment à néant.
L’autre écueil de ces autodiagnostics, est la banalisation des pathologies, ce qui met en péril les véritables diagnostics et décrédibilise les personnes diagnostiquées par les professionnels. Certains patients atteints de pathologie avérée déplorent le fait d’être enviés pour quelque chose dont ils aimeraient bien pouvoir se débarrasser comme on enlève du maquillage. La voix des professionnels de la santé psychique se trouve ainsi noyée dans un marécage d'auto-proclamés experts. Certaines personnes écouteront plus leur tiktokeurs préférés plutôt qu'un soignant du domaine psychique.
C’est aussi un moyen détourné de répondre à l’injonction contemporaine au bonheur à tout prix, au ‘’tout transparent’’, au tout lisse, en somme à toute éradication symptomatique.
Il ne faut pas oublier qu’un état de bonheur constant linéaire est excessif et utopique. Partir du présupposé que l'on doit être constamment heureux, c'est oublier que toute pulsion doit se résoudre que tout état d'excitation doit passer. Chacun devrait tendre à échapper au bonheur obligatoire et universel, à un destin préétabli ; les symptômes peuvent être les ‘’travers’’ ou les tremplins sur lesquels peuvent s’épanouir toute sorte de créations qui font la singularité de chacun et parfois faire sortir un génie ! L’autre constitué par le seul réseau social doit laisser place à la parole que seul un Autre comme un(e) psychologue en personne incarne pour dénouer le symptôme comme le patient le souhaite dans son désir qu’il recherche en définitive ... Faut-il encore qu’il prenne le bon chemin. Le bonheur est une étincelle propre à chacun.
Si vous avez un doute, que vous vous reconnaissez plus ou moins dans l'un de ces posts que vous croisez quand vous scrollez sur les réseaux, ne restez pas seul avec cette inquiétude et prenez rendez-vous avec un psychologue.
Psy Boisgervilly